Suspicion

Un jeune homme noir de 24 ans est mort mardi pendant son transfert vers la gendarmerie dans la région parisienne. Les gendarmes ont affirmé que l’homme, Adama Traoré, avait fait un malaise cardiaque, cependant que la famille et l’entourage n’y croient pas et sont persuadés qu’il a été victime de violence policière. Des incidents graves s’en sont suivis : 15 véhicules détruits par le feu, 35 départs de feu dans la rue et des tentatives d’incendie de la mairie et d’une école maternelle. Sans compter des échauffourées entre population en colère et forces de l’ordre, qui ont fait des blessés légers.

Depuis la mort en 2005 des deux jeunes qui s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique sous la pression de la police, la défiance des populations suburbaines à l’égard des autorités ne s’est jamais vraiment démentie. Dès l’annonce du décès d’Adama Traoré, la thèse d’une bavure policière a été privilégiée par la famille et le voisinage, qui trouve cette mort très suspecte. Je ne suis pas certain que les premiers résultats de l’autopsie contribuent à ramener le calme, tant leur formulation est ambiguë. Le médecin légiste déclare ne pas avoir observé de « traces de violences significatives ». Adama Traoré ne présenterait que des égratignures superficielles, ce qui laisse place à toutes les interprétations. Son décès serait dû à une grave infection touchant plusieurs organes et à son état d’hyperthermie au moment de son interpellation.

Les faits sont suffisamment imprécis pour que les autorités aient promis une enquête approfondie et que le défenseur des droits se soit saisi de l’affaire. L’analogie avec les incidents raciaux aux États-Unis est suffisante pour que certains se réclament du mouvement « Black Lives Matter » sur les réseaux sociaux, lieu de toutes les colères, de toutes les frustrations, et caisse de résonance de toutes les supputations. C’est aussi sur Twitter que le Front national s’est complu à jeter de l’huile sur le feu en stigmatisant la soi-disant racaille qui s’en serait prise gratuitement aux forces de l’ordre. En écho à cette caricature de l’extrême droite, une partie de la population brandit l’étendard de la « négrophobie » qui serait à l’œuvre un peu partout, et contre laquelle elle appelle à manifester à Paris samedi prochain. Il me semble qu’une certaine prudence est de mise et qu’il convient de vérifier au maximum les faits avant de céder à des simplifications qui peuvent se révéler abusives. La pression de l’opinion devrait permettre une investigation rigoureuse et aussi objective que possible. Elle est nécessaire pour restaurer un minimum de confiance dans les institutions de la République.