La cuillère et les démons

Pour dîner avec le diable, mieux vaut se munir d’une cuillère à longue queue. L’expression se retrouve dans à peu près toutes les langues, de l’allemand à l’écossais, en passant par l’inévitable William Shakespeare, qui n’était pas le dernier pour récupérer les proverbes et les accommoder à sa sauce. Nous sommes, plus que jamais, invités à la table de différents démons, dont nous aimerions souvent nous passer de la compagnie, mais nous ne pouvons pas nous permettre de cracher dans la soupe. Il ne nous reste plus qu’à rester à distance du brasier autant que faire se peut, en espérant ne pas trop nous y brûler.

C’est ainsi que nous devons accueillir avec satisfaction le cessez-le-feu fragile entre les belligérants syriens et espérer l’ouverture de négociations avec le dictateur honni dont nous ne voulions plus entendre parler, Bachar El-Asad. Et s’il faut pour cela se rabibocher avec le maitre du Kremlin contre lequel nous avions pris des sanctions économiques désastreuses pour notre commerce extérieur, il faudra bien en passer par là, en dépit des atteintes aux droits de l’homme et la politique expansionniste de Wladimir Poutine. C’est dans ce contexte géopolitique qu’il faut aussi apprécier la levée des sanctions envers l’Iran, qui n’est pas encore un modèle de démocratie, et la fameuse Légion d’honneur attribuée au prince héritier d’Arabie Saoudite, un pays où les exécutions capitales sont monnaie courante et où les droits des femmes sont terriblement en retard.

Et voilà que c’est le président turc qui est en train de s’acheter une respectabilité et l’absolution de ses mauvaises manières quant au respect des libertés individuelles, sans parler de sa haine tenace envers la minorité kurde de son pays, en proposant une solution miracle à l’Union européenne sur la délicate question des migrants. Que Recep Tayyip Erdogan s’assoie sur la liberté de la presse en prenant le contrôle du principal journal d’opposition ne pèse pas bien lourd dans la balance, en regard de l’épine qu’il est prêt à sortir des pieds européens, en échange de négociations sur l’adhésion de la Turquie à la communauté. Pour être honnête, si la Turquie récupère les migrants venus de son territoire tenter leur chance en Europe via la Grèce, elle ne fera pas gratuitement, mais recevra 3 milliards pour les accueillir. Mais la motivation du dictateur turc est plus politique que financière. Il veut avoir les mains libres pour museler son peuple et éradiquer l’opposition kurde, là où elle se trouve, urbi et orbi. Décidément, la tambouille du diable ne sent pas bon.