Choc des savoirs : une tragédie

« Si vous avez compris en quoi consiste cette énième réforme de l’éducation nationale, c’est que je me suis mal exprimé ». C’est en substance ce qu’aurait pu déclarer le père de ce projet de réorganisation du collège, le fugace ancien Premier ministre Gabriel Attal pendant son passage éclair au ministère de l’Éducation. Habituellement, les ministres en mal de notoriété se contentaient de laisser leur nom à une réforme, souvent concernant le baccalauréat, le diplôme le plus emblématique et le plus connu des Français. Avec ce nom alambiqué et pour tout dire incompréhensible, Gabriel Attal vise à en mettre plein la vue des parents et à se doter d’une vision à long terme sur l’éducation.

Malheureusement, ce titre ronflant ne recouvre qu’une organisation toute bête qui consiste à trier les élèves en groupes en fonction de leur niveau en français et en mathématiques. Pour information, des études ont démontré depuis belle lurette que c’est exactement ce que les professeurs ont tendance à faire instinctivement, quel que soit le niveau moyen de la classe et qu’ils en tiennent compte dans leur pratique pédagogique. Le danger, c’est d’assigner chaque élève à un groupe fixe dont il ne pourrait guère s’échapper, restant ad vitam aeternam parmi les cancres ou les forts en thème. Une des modalités cependant pouvait représenter un progrès, le travail en groupes restreints. Les enseignants, généralement pragmatiques, seraient d’accord pour créer des groupes « de besoins », dans lesquels les élèves pourraient reprendre des notions non acquises. Las ! non seulement cette innovation ne s’accompagne pas de recrutement de personnel supplémentaire, mais on annonce déjà 4 000 suppressions de postes. Cette réforme était apparue comme mort-née, les syndicats ayant manifesté leur opposition, ainsi que les parents d’élèves.

On pouvait prédire sans trop de risque que le premier acte claironné par le gouvernement Attal serait la victime expiatoire de la dissolution et de la vacance prolongée du pouvoir. La nouvelle ministre elle-même ne semblait pas vouloir faire de zèle et accepter que les mesures envisagées ne soient pas vraiment appliquées. Anne Genetet a dû subir un remontage de bretelles en règle, car elle a annoncé un acte deux de la réforme, qui relance les inquiétudes légitimes du monde enseignant. Sachant que la tragédie classique comportait généralement 5 actes, tous les désespoirs resteraient ainsi permis. Toutefois, dans cette unité de temps, de lieu et d’action, une lueur est apparue du côté du Conseil d’État, dont le rapporteur préconise l’annulation de l’arrêté du 15 mars dernier qui permet au gouvernement d’organiser les cours par groupes de niveau. La décision du Conseil d’État sera rendue d’ici 3 semaines, et de toute façon personne ne sait si nous aurons un ministre de l’Éducation à Noël.