Big Brother

Lorsque Georges Orwell publiait en 1949 son roman d’anticipation intitulé 1984, il imaginait un futur dans lequel les libertés individuelles étaient totalement abolies, et où les citoyens étaient sous la surveillance constante du pouvoir, symbolisé par cette figure du « Grand frère » qui asservissait les gens sous couleur de les protéger. Bien entendu, les choses ne tournent jamais comme on le suppose, et la réalité dépasse souvent la fiction. L’état n’est pas omniprésent ni omniscient dans les pays démocratiques tels que le nôtre, malgré la prolifération parfois massive des caméras de surveillance, en particulier dans les municipalités conservatrices.

Dernièrement, le président de la République a déclaré la guerre aux écrans, s’alarmant du temps passé, notamment par les jeunes à visionner des contenus pas forcément adaptés sur leurs smartphones, et à communiquer entre eux. C’est donc au nom du bien-être de la population que le maire de la commune de Seine-et-Port en Seine-et-Marne a cru bon de consulter ses administrés en vue de prendre un arrêté interdisant l’utilisation des smartphones dans de nombreux endroits stratégiques. Dans les espaces publics, devant les écoles, à l’intérieur des commerces, partout où cela pourrait gêner les échanges directs entre particuliers. On comprend bien la motivation du maire appartenant aux Républicains, tout en s’interrogeant sur la méthode. Dans un souci louable de démocratie, le maire a organisé une « votation citoyenne », qui ne peut avoir force de loi, et qui n’a pas attiré les foules. Sur les 2 000 habitants, 146 ont voté « pour » et 126 « contre », soit 54 % et 46 % respectivement. Les absents ont eu tort, évidemment, mais la majorité est très relative, et le Maire est conscient que l’arrêté qu’il compte prendre sera perçu par certains comme une restriction aux libertés, qu’il justifie par des impératifs de santé publique.

D’ailleurs, aucune sanction n’est envisagée pour les contrevenants, le Maire souhaitant plus inciter que réprimer. Ce qui tombe bien, puisque son arrêté, s’il le prend, n’aura pas force de loi. Pas plus que cet autre arrêté municipal qui avait interdit aux résidents de la commune de décéder jusqu’à nouvel ordre faute de place pour recueillir les dépouilles mortelles des disparus. Cette initiative, dont la presse s’est fait l’écho, aura le mérite de poser la question de la nécessité ou non de légiférer sur un sujet qui semble relever de l’intime, du libre arbitre. J’y ajouterai l’intérêt de ne pas imposer de décisions aussi personnelles sur un principe majoritaire aussi étriqué que la moitié des voix plus une. En matière de Constitution par exemple, des conditions supplémentaires sont exigées, et il en va de même du fonctionnement des institutions européennes, avec la majorité qualifiée.