L’acteur et le prix Nobel

Je dois le reconnaître, quand l’affaire DSK a éclaté en 2011, ma première réaction a été l’incrédulité. La mise en scène volontairement humiliante de l’arrestation de l’homme politique français, qui semblait à l’époque promis au plus bel avenir, avec de fortes chances d’accéder à la présidence de la République française et qui était alors à la tête du Fonds monétaire international, tout poussait à croire à un complot fomenté par des adversaires politiques. Je peux donc comprendre que des amis ou la famille de Gérard Depardieu ne veuillent pas croire à sa culpabilité dans les accusations de viol ou d’agressions sexuelles dont il fait l’objet.

Ils l’ont exprimé dans une tribune de soutien à l’acteur, encouragés en cela par la prise de position publique du président Emmanuel Macron, ce qui est leur droit le plus absolu. De là à laisser entendre que le talent de Gérard Depardieu l’autoriserait à s’affranchir des règles communes et des lois de la République est évidemment totalement inaudible. La justice a été saisie et elle finira bien par statuer, mais on ne peut pas empêcher l’opinion publique d’exister, et au premier chef, ce sont les victimes qui réclament reconnaissance et si possible réparation. Et en l’occurrence, c’est l’acteur qui est son propre procureur le plus impitoyable avec les propos tenus face caméra affichant une misogynie hallucinante et sexualisant une petite fille de façon tellement choquante que l’avocat du réalisateur a tenté de les faire passer pour de la fiction. La forme même de la tribune parue dans le Figaro le jour de Noël est particulièrement maladroite. En quoi dénoncer des agissements sexistes serait-il un coup porté à l’art ? Les signataires se sont-ils rendu compte qu’ils encourageaient la pire exception culturelle en amalgamant un talent, même un génie selon certains, avec des comportements inadmissibles ?

Je ressens la même gêne quand on consulte des personnalités brillantes ayant obtenu des récompenses aussi prestigieuses qu’un prix Nobel par exemple sur des sujets sortant du cadre strict de leurs compétences. Un exemple franco-français en a été apporté involontairement par Cédric Villani au cours d’une carrière politique éphémère. Mathématicien brillant, ayant obtenu en 2010 la médaille Fields, équivalent du prix Nobel de Mathématiques, il sera élu député de la République en marche, le parti présidentiel, en 2017, puis rejoindra les écologistes au sein de la NUPES en 2022, sans toutefois être réélu sous ses nouvelles couleurs. Il est vrai que travailler à l’amélioration de la condition de la population ne se résout pas par des équations. Bref, il me parait excessif de vouloir comparer la controverse actuelle à une nouvelle affaire Dreyfus, dans laquelle ce seraient des jalousies professionnelles qui auraient pris le dessus. Écoutons d’abord celles qui se disent lésées, et laissons la justice suivre son cours, aussi sereinement que possible.