La tagadagada tactique

Oui, je sais, la fameuse tagadagada tactique du gendarme que chantait André Raimbourg, plus connu sous le nom de Bourvil, dans l’immédiat après-guerre, non seulement ne date pas d’hier, mais n’est probablement pas la meilleure chanson de l’artiste. Elle a cependant le mérite d’illustrer une notion qui m’avait jusqu’ici échappé dans le déroulement de l’examen de la loi sur la réforme des retraites à l’Assemblée nationale. En effet, le gouvernement ayant choisi une procédure spéciale consistant à abréger les débats en les contenant dans une durée limitée, chacun pouvait se rendre compte de l’impossibilité matérielle d’examiner l’ensemble des amendements déposés par les parlementaires.

Les ministres et les partisans du gouvernement avaient, semble-t-il, beau jeu de dénoncer une obstruction de l’opposition pour empêcher le texte d’être examiné dans les temps et donc aboutir à une adoption sans vote. Toutefois, j’avais noté que l’article 1 de la loi portant sur la suppression de certains régimes spéciaux avait pu être discuté et finalement adopté par une majorité relative de députés, ce qui n’avait pas manqué de m’étonner, les séances de nuit étant fréquemment l’objet de « coups ». Quand l’hémicycle somnole, avec un parterre peu garni, écoutant distraitement des orateurs harassés, on voyait débarquer brusquement des hordes de députés alertés par SMS, afin de participer à un vote et emporter la décision. Pour s’opposer à un texte scélérat, rejeté par une grande majorité de Français, il me semblait que ce type de manœuvre n’était pas illégitime.

Apparemment, la Nupes avait effectivement prévu la riposte parfaitement légale aux procédés déloyaux d’une majorité aux abois, contrainte de quémander de l’aide à la droite la plus réactionnaire, en échange de quelques miettes faisant croire que les Républicains avaient encore un rôle à jouer. La valse des amendements, déposés ou retirés à leur guise, autorise les opposants à peser sur le calendrier, et leur a même permis de remporter un succès inattendu. L’article 2 de la loi a en effet été repoussé par 256 voix contre 203. Vous remarquerez qu’il « manque » une bonne centaine de votes sur les 577 députés. La pseudo-majorité est donc loin des 289 votes de la majorité absolue, mais l’opposition aussi, et cela ne lui permettrait pas de repousser une motion de confiance au gouvernement. Au-delà du rejet de l’index recensant le nombre de « seniors » dans les entreprises, une mesure-gadget qui servirait à peu de choses, ce vote est un coup de semonce, et même un revers sérieux pour le pouvoir, qui se sait désormais à la merci d’un coup de colère de ses alliés d’un jour, dont le front est loin d’être uni. L’ambition de la Nupes serait de faire adopter des sources de financement non liées à l’âge pour rendre caduc l’article 7 portant sur le report du départ à 64 ans. C’est au moins bien essayé.