Pataquès

Nous sommes malheureusement habitués par force à subir des déformations dues à des liaisons dangereuses, dont le prototype pourrait être « se parler entre quatre z’yeux », dans l’intention louable d’éviter un hiatus disgracieux entre deux voyelles. On pardonnera volontiers cette erreur aux locuteurs ordinaires, mais moins aux professionnels de la langue, comme les journalistes, qui sont supposés manipuler ces expressions sans commettre de fautes. J’en ai entendu un bel exemple encore aujourd’hui dans le journal de 9 heures sur France Inter, avec un pluriel employé mal-t’à propos au sujet d’un entraineur de volley-ball.

Selon Stéphane Bern, sans qui l’on ne pourrait décerner désormais de brevet d’élégance et de bon goût, l’expression elle-même serait le résultat d’une contraction moqueuse de : « je ne sais pas t’à qu’est-ce » rapportée par un véritable grammairien. L’anecdote aurait donné naissance également à la formule « en faire tout un pataquès », écrit parfois « patacaisse », ce qui justifierait la parenté de sens avec « en faire des caisses ». On voit par là toute la richesse de la langue française et toute la difficulté à la maîtriser dans ses moindres détails. Vous aurez remarqué que beaucoup de journalistes préfèrent éviter prudemment de faire la moindre liaison, en reprenant leur souffle entre les mots risqués, ce qui donne à leurs phrases ce débit si particulier et si peu naturel qui en est la marque de fabrique. La plupart des gens évitent soigneusement de faire des liaisons quand il s’agit d’argent avec les difficultés spécifiques liées à l’emploi des nombres tels que vingt, cent ou mille, qui n’étaient pas perceptibles à l’oreille en Francs et le sont désormais en euros.

Ces questions de prononciation peuvent paraître bien subalternes, mais elles traduisent souvent une méconnaissance du sujet dont il est question. Les présentateurs devraient se donner la peine par exemple de s’enquérir de la prononciation des lieux-dits dont ils parlent dans leur journal. Le « cuir » de ce matin, en fait banal, m’a aussi frappé parce qu’il faisait suite à une erreur à mon sens plus gênante pendant la revue de presse. La journaliste, Alexandra du Boucheron pour la nommer, a évoqué, je cite : « les arborigènes (sic) du Bush australien qui savaient faire pousser certaines plantes qui ralentissent le feu » avant de récidiver : « en France, on n’a pas d’arborigènes, mais on a le Conseil d’État ». Je confirme à Alexandra du Boucheron que nous n’avons pas d’arborigènes, pour l’excellente raison que ce terme n’existe pas, et que les populations autochtones australiennes ne sont en rien assimilables à des singes arboricoles, qui vivraient dans les arbres, donc. J’ai bien peur que cette confusion ne soit pas un simple lapsus, un mot pour un autre, mais une ignorance pure et simple de la réalité véhiculée par ce langage, avec des arrière-plans racistes dont je ne la soupçonne pas, mais qu’elle relaie sans le savoir ni le vouloir.